Festival d'Angoulême 2020 - Un miraculé

Imagine une salle immense, pleine à craquer. Partout où se pose ton regard, il n'y a que des stands, des piles de bouquins et des gens. Des gens attablés à leur stand en train de dédicacer, des gens assis qui écoutent des rencontres, des gens qui veulent que tu t'abonnes à Libération, des gens qui font la queue, une demi-heure pour rentrer dans la bulle manga, deux heures pour voir Julien Neel, des gens dans les rues, dans les parcs, dans les restaurants, dans les bars et les soirées (enfin, la soirée). Aucun masque à l'horizon. De toute façon, l'horizon, il n'est pas bien loin, parce qu'il pleut.

Cette scène se passe en février 2020, ce qui équivaut à la fois à dix générations et trois minutes en temps-de-pandémie. Déjà à l'époque, un tel afflux était impressionnant à l'échelle de la Charente, où j'ai eu l'occasion de constater qu'il est quand même rare, hors festival, de croiser quelqu'un‧e à moins d'un mètre.

J'ai emménagé à Angoulême à 90% pour le festival. La décision a été rapide : j'ai été forcée une fois de reprendre le train pour rentrer dormir chez moi au lieu de faire la fête avec les copain‧e‧s, et dès le déconfinement, je déménageais. (À la réflexion, j'ai peut-être un petit problème de gestion de la frustration.)

Donc, tu imagines bien qu'en juin 2021, quand le Festival international de la BD d'Angoulême devait se tenir quand même, avec des boycotts, mais en fait non, je me débattais dans les affres du seum, d'autant que je savais que je n'y vivrai plus longtemps.  

A une semaine de l'événement qui fera de la Charente un cluster mondialement connu, j'avais envie de faire un petit article, mais en même temps, j'ai un peu la flemme de trouver du contenu original. On va donc faire un haul, dans la plus pure tradition du YouTube des années 2010 (enfin, ça se fait toujours, non ?). Voilà donc mes découvertes du FIBD 2020.


While I (still) did nothing, Emma Evans (zine)

J'ai passé 90% de mon temps dans la bulle New York, à côté de la mairie, parce que c'est cool et qu'il y a mes maisons d'éditions préférées (no offense to les autres, je vous aime aussi) (mais moins, et pas toutes).

Il y a aussi une des meilleures parties du Festival, celle des zines et autres créations plus artisanales. C'est là que je suis tombée sur le stand d'Emma Evans, que vous pouvez d'ailleurs suivre sur Instagram. While I (still) did nothing est un zine très doux qui parle des difficultés du passage à l'âge adulte, des doutes et des excuses qu'on se trouve pour ne pas créer...

Couverture de Nous allons toutes bien. Une femme âgée assise, recroquevillée sur un banc au pied d'immeubles

Nous allons toutes bien, Ana Penyas, Cambourakis, 2019

Un roman graphique au dessin délicat et aux couleurs pastels, dans lequel l'autrice fait le portrait de ses deux grands-mères. Ce faisant, elle met en lumière une génération de femmes qui a vécu la dictature franquiste et la violence d'une époque qui refusait de leur donner la parole.

À part ça, Ana Penyas est la première femme espagnole à avoir obtenu le Prix national de la BD (c'était en 2018), et ça c'est super, parce qu'on voit qu'outre-Pyrénées, les mecs du milieu de la BD sont tout aussi féministes qu'ici, merci à tous pour vos efforts. On sait pourquoi l'effondrement climatique arrive plus vite que l'égalité.

Couverture de Souvenir... Un paysage de fils électriques.

Souvenir d'une journée parfaite, Dominique Goblet, éditions Frémok, 1ère édition 2001

Frémok est une association d'auteurices belges, qui réalisent divers projets éditoriaux et artistiques. Dominique Goblet est l'une des membres actives de ce collectif.

Publié pour la première fois et réédité sous le label FRMK, Souvenir d'une journée parfaite commence par une balade dans un cimetière. Dominique Goblet cherche le nom de son père, sans le trouver. Parmi tous les noms inconnus, son attention est attirée par celui de Mathias Khan (1945-1988). Quelques années plus tôt, Mathias Khan, lui, est conscient qu'il va mourir. Il tente de s'attacher au présent, à travers la nature, une histoire d'amour.

Le style est assez incroyable, je n'avais jamais rien lu de pareil (on a établi que j'étais une noob en BD, mais quand même). Le dessin au crayon, en plus d'être très beau, renforce le sentiment d'intimité du récit, comme si l'on regardait dans les notes de Dominique et de Mathias. Une très belle découverte.

Couverture de la Ligue des Super Féministes. Trois femmes en costume de super-héros

La Ligue des Super Féministes, Mirion Malle, La Ville Brûle, 2019

Est-ce que j'ai hésité plusieurs fois à m'approcher du stand de Mirion Malle tellement ma fangirl interne était en train de hurler ? C'est possible, mais t'as pas de preuve et personne ne te croira. Son blog fait partie des premiers qui m'ont incitée à m'intéresser à la BD, et C'est comme ça que je disparais, son dernier roman graphique en date à l'heure où j'écris ces lignes (mais plus pour longtemps), est un vrai bijou.

La Ligue des Super Féministes est une très bonne BD de vulgarisation, avec des reprises d'articles de son blog et des planches inédites. Elle traite tout un tas de sujets qui permettent une première approche de grands concepts féministes, d'une analyse des médias... C'est le livre à offrir aux enfants autour de toi.

Couverture du Fils de l'ours père. Silhouettes d'ours dans une forêt.

Le fils de l'ours père, Nicolas Presl, The Hoochie Coochie, 2010

Ce qui est cool quand on a des ami‧e‧s qui font de la BD, comme par exemple Pierre Bunk, c'est qu'iels sont de très bon conseil. (L'inconvénient, c'est que mon appart est désormais constitué d'une pile à lire à environ 76%.)

Le fils de l'ours père est un beau roman graphique en noir et blanc, muet, qui raconte l'histoire d'un ourson recueilli par le chasseur qui a tué sa mère. La maîtrise de Nicolas Presl est absolument incroyable. Sur une telle longueur, en noir et blanc, sans parole, réussir à construire une histoire aussi complexe, profonde tout en restant captivante d'un bout à l'autre... Un coup de maître.

Couverture de D'autres Russies. Manifestation colorée de Pussy riots encagoulées avec des drapeaux LGBT

D'autres Russies, Victoria Lomasko, The Hoochie Coochie, 2018

Depuis 2018, je voyais cette BD sur les rayonnages de librairies de qualité telles que La Nuit des Temps à Rennes, et depuis 2018, je me disais : "Bon ok, je la prendrai la prochaine fois." Donc, quand j'ai commencé à discuter avec Fanny Etienne-Artur sur le (très beau) stand de The Hoochie Coochie, et que j'ai réalisé que c'était justement cette (très belle) maison d'édition qui avait publié cette merveille, j'ai sauté le pas.

Publié juste avant la réélection de Poutine, D'autres Russies reprend des chroniques d'actualité écrites par Victoria Lomasko entre 2008 et 2016. Outre l'évident (mais intéressant) reportage sur les Pussy Riots, elle relaye les témoignages de celleux qui sont oublié‧e‧s par le parti Russie Unie, et se fait l'écho de nombreuses mobilisations sociales dont on n'entend pas souvent parler en Occident. Ses séries de portraits sont particulièrement touchantes.  

Couverture de Wolcano. La sorcière, au centre, la culotte à la cheville gauche, tient un verre et aborde un sourire satisfait. Autour, des vignettes montrent d'autres personnages. Au-dessus de sa tête, il y a un volcan en éruption.

Wolcano, la sorcière du cul, Shyle Zalewski, Delcourt, 2020

Quand Shyle Zalewski poste une BD sur ses réseaux sociaux, il y a de fortes chances pour que ce soit le truc le plus queer que vous verrez de la journée. J'avais beaucoup aimé Grenadine (Ed. Lapin, 2018), donc j'étais extrêmement contente d'avoir l'occasion de faire dédicacer Wolcano, et malgré mon anxiété sociale assez carabinée ce week-end-là, ça a été une expérience très cool.

La BD nous plonge dans une sorte de monde d'heroic fantasy coloré où Wolcano, sorcière de profession, couche avec à peu près toute la planète. Après sa 666e conquête, son... extraversion arrive aux oreilles du Pôle des Sorciers, qui ne mange pas de ce pain-là. Pour éviter la radiation et défendre sa liberté, elle va partir en road-trip, et prouver que la magie du cul est aussi une magie.

J'ai commencé à la lire le soir-même sur le quai de la gare, et je me suis tapé quelques fou rires, en public, franchement, merci hein. Il s'avère que ces temps-ci, je passe mes journées entourée d'hétéros (même si j'ai rien contre elleux, certaines de mes meilleures amies sont hétéros, etc.), et un titre aussi queer était une vraie bouffée d'air frais.

Attention, malgré les illustrations colorées et vraiment mignonnes, comme le titre l'indique, c'est assez peu PG-13. Enfin 13, si, peut-être. Mais ne l'offre pas par erreur à ton petit cousin de 8 ans, comme ces gens qui rangent les anime pornos dans le rayon "jouets pour enfants" (mais c'est une anecdote pour un autre jour).

Achaela

Achaela

Les dessins animés passaient trop tôt le matin, donc j'ai commencé à lire. Voilà le résultat.
Capitale Internationale de la Bande Dessinée et de l'Image (au moins)