Mes lectures du mois d'avril

J'avais arrêté d'aller à la bibliothèque parce que je rends toujours tout en retard. À chaque visite, je retirais les livres des étagères avec un sentiment d'urgence absolue, comme s'ils risquaient de disparaître des rayonnages, et je repartais avec une pile absolument indécente, en me disant qu'un mois suffirait bien à venir à bout de tout ça. Deux mois et trois rappels plus tard, je revenais, les joues brûlantes de honte, rendre les livres à moitié lus avant de devoir payer la facture.

Le confinement aidant, j'avais décidé de retirer cette source de stress et de honte intense de ma vie. C'est en discutant avec mon amie Inès (toujours de bon conseil), et alors que je m'apprêtais à dépenser 40 balles pour pouvoir lire le début d'une saga de fantasy sans savoir si elle me plairait (spoiler alert: elle me plaît), que je me suis souvenue de ces endroits incroyables dont on peut ressortir avec une pile de livres pour la modique somme de 0 euros. Le monde est quand même bien fait.

Mes lectures d'avril sont donc sponsorisées par les médiathèques de ma région. Et un big up aux bibliothécaires de Saint-Jean-d'Angély qui m'ont dit que je pourrai payer mon adhésion la prochaine fois. En plus je suis en retard.

Deux avertissements avant de commencer puisque c'est mon premier bilan (on va essayer de faire court parce que là on dirait un début d'article de blog cuisine) :

  • C'est un format ultra subjectif, donc je me suis fixé deux règles : je ne parle ni des livres que je lis pour le travail, ni des livres que je n'ai pas aimés. Dans le premier cas, ça évite tout risque d'incident diplomatique, dans le second, c'est juste que j'aurai suffisamment de contenu sans te gâcher la vie avec mes avis de hater.
  • Tu peux suivre au fur et à mesure mes lectures et mes avis sur Livraddict. Bon, parfois, j'oublie de mettre à jour et 15 titres débarquent d'un coup mais voilà, si tu as un compte, c'est permis.

Couverture de Volcaniques : triangles colorés sur fond noir.

Volcaniques. Une anthologie du plaisir, recueil collectif dirigé par Léonora Miano, Mémoire d'encrier, 2015

Douze autrices noires ont proposé leurs nouvelles pour ce très beau recueil sur le désir et le plaisir féminin. Le seul critère posé était d'écrire sur le corps et la sensualité, voire la sexualité.

Je voulais lire ce livre depuis très, très longtemps, donc lorsque je l'ai vu à la librairie Le Texte Libre, je n'ai pas hésité. Comme toujours avec les recueils de nouvelles, certains textes, certains styles d'écriture touchent davantage que d'autres, mais j'ai apprécié la variété des histoires, des profils, des rencontres et des expériences. (Comme quoi, même en "non-mixité", il y a de la diversité ! Who knew !*)

*Réponse : toutes les personnes minorisées qui se sont un jour retrouvées en non-mixité/mixité choisie.

Couverture du Piano oriental. Un homme, l'air apaisé, les yeux fermés et souriant, baisse les yeux vers un piano. En bas à droite, une jeune femme accoudée sur le piano le regarde en souriant.

Le Piano oriental, de Zeina Abirached, Casterman, 2020

Pour le coup, c'est aussi un achat en librairie. Casterman a fait une édition découverte à 10€ en format poche. Pour les puristes de la BD, c'est une aberration qui ne rend pas justice au travail de l'artiste, mais c'est aussi moins cher.  

Entre le Liban, Paris, et un peu Vienne, on suit en parallèle les histoires d'un pianiste inventeur et de Zeina Abirached. Les liens entre les deux sont révélés au fur et à mesure, je ne veux pas trop en révéler, mais j'ai apprécié l'angle sous lequel elle raconte ce qui n'aurait pu n'être qu'une anecdote familiale. Je l'ai lu comme un hommage aux inventeurices et aux esprits brillants dont l'Histoire n'a pas su retenir le nom.

J'avais lu récemment Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles (aux éditions Cambourakis, gage de qualité) et la beauté absolue des dessins de Zeina Abirached m'avait tout simplement estomaquée. Je n'exagère pas : chacune de ses BD crée chez moi un véritable choc esthétique. Je te conseille vivement de rentrer dans la première librairie qui vend des BD (c'est-à-dire la première bonne librairie) sur ton chemin et d'ouvrir une page au hasard, c'est sublime.

Couverture de Djamilia. Une femme aux cheveux longs, en robe, est prise en photo de profil dans une plaine, sous le soleil. Elle est en train de bouger, la photo est floue.

Djamilia, de Tchingiz Aïmatov, Folio, 2003 - traduit du russe par Louis Aragon

Au Kirghizstan, les hommes sont partis à la guerre. Pour tenir compagnie à Djamilia, reste son jeune beau-frère et ami, Seit. Un jour, on leur confie la mission d'acheminer du blé dans leur carriole ; un long trajet avec un mystérieux jeune homme, Daniiar.

J'ai acheté ce livre dans une vente d'occasion il y a environ 6 mois, par pur snobisme (je n'avais jamais lu d'auteur kirghize, cette situation était intolérable). C'est une belle nouvelle, poétique, touchante, les personnages sont profonds et le fait de faire d'une tierce personne le narrateur apporte beaucoup à l'histoire. La préface est d'Aragon, et il en parlait comme de la plus belle histoire d'amour du monde. S'il parle d'amour "amoureux", je ne suis pas forcément d'accord ; à mon avis, la plus belle histoire d'amour, dans ce roman, c'est celle de Seit et Djamilia. Je te laisse en juger.

Couverture d'Ellis Island. Photo en noir et blanc d'une femme portant un foulard, un homme et un enfant portant des bérets, de dos, regardant la Statue de la Liberté de l'autre côté de l'eau.

Ellis Island, de Georges Perec, P.O.L., 2019

Une édition qui reprend les écrits de Georges Perec lors d'un voyage à Ellis Island avec Robert Bober pour la réalisation d'un documentaire.

En quelques pages, c'est à la fois un aperçu de l'histoire, administrative mais aussi intime, de cette île sur laquelle tant de destins d'émigré‧e‧s se sont joués, et une exploration du rapport que Georges Perec entretient à cette histoire. Je ne saurai pas parler correctement de ce livre, donc je dirai simplement que j'ai pris une phrase sur deux en note, et que je n'ai jamais été aussi émue par une liste d'objets.

Couverture de La Nuit des labyrinthes. Un homme en haut de forme, entouré de fleurs, avec en arrière-plan un pont Transbordeur et un coucher de soleil.

La Nuit des labyrinthes, de Sabrina Calvo, Mnémos, 2020

On retrouve ici le botaniste Bertrand Lacejambe et son fidèle Fenby, rencontrés dans Délius, une chanson d'été, pour une enquête encore plus sombre que la précédente.

La nuit de Noël 1905, alors que Marseille fête un nombre assez incalculable de trucs (le clou de la soirée étant l'inauguration du pont Transbordeur), Lacejambe et Fenby sont chargés de ramener à un homme mourant la fleur la plus commune de Marseille... et découvrent qu'elle a totalement disparu. C'est le point de départ d'une enquête sur une vaste conspiration qui prend ses racines dans la violente répression de la Commune marseillaise, et qui menace de plonger la ville dans le chaos.

À chaque fois que je referme un livre de Sabrina Calvo, j'ai besoin d'un temps pour comprendre ce que je viens de vivre et me réadapter à la vie normale. Elle nous plonge ici dans une atmosphère de fin du monde à Marseille, dont on découvre tous les recoins, toutes les fleurs et les sociétés secrètes. On a l'impression que chaque passant‧e a une histoire à raconter, qu'en soulevant n'importe quel caillou, on va découvrir un des mondes parallèles qui cohabitent dans la ville. C'est complètement chaotique (dans le bon sens du terme) et comme toujours, très poétique. On (re)découvre aussi les événements de la Commune de Marseille, dont on entend très peu parler par ailleurs. Par rapport au précédent (Délius), le roman est plus queer (imho) et se finit sur une note moins positive, ce que l'autrice explique un peu en postface. En tous cas, j'attends le prochain avec impatience !

Couverture de Mauvaise graisse : un homme assis dans une tempête de neige.

Mauvaise graisse, Patrick K. Dewdney, J'ai Lu, 2021

Bon, là encore, c'est de la librairie (Cosmopolite, en l'occurrence). (Je fais du name dropping de librairies indés pour que t'aies plus d'excuses pour acheter sur Amazon.) J'attendais tranquillement à la caisse quand il a attiré mon attention, et j'avais déjà dépassé mon budget, mais c'est un livre de poche, etc.

C'est l'histoire d'un gangster marseillais qui, après une affaire qui a mal tourné, est parti s'installer en Creuse et s'est reconverti dans un autre genre de vol à main armée, plus légal cette fois-ci : la vente à domicile. Un jour, après avoir arnaqué une petite vieille et appris qu'il allait mourir incessamment,  il tombe en panne en pleine tempête de neige. Il trouve refuge dans une ferme isolée dont l'occupant, à l'abord un peu inhabituel, l'accueille à bras ouverts. C'est l'occasion rêvée pour une crise de la cinquantaine, mais son passé n'est pas aussi loin qu'il le pensait...

À première vue, je ne suis pas du tout le public cible. Je ne lis pas spécialement de roman noir rural, et surtout les crises de la cinquantaine des mecs cis hétéros, pardon hein, je conçois qu'il faille en parler mais, moi, ça m'emmerde. À titre d'exmple, j'ai aimé tout ce que j'ai lu de Romain Gary, sauf Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable. Sauf que, sauf que Mauvaise graisse, je n'ai pas pu le lâcher. Toute la soirée, je n'ai fait que ça : j'ai lu en mangeant, en me brossant les dents, si j'avais pu lire sous la douche je l'aurais fait. Pendant une bonne partie du roman, le rythme est relativement lent, en réalité, mais je n'ai pas pu le refermer avant de connaître la fin. Si tu aimes les romans noirs, il te plaira forcément, mais si ce n'est pas ton genre de prédilection, vas-y quand même.

Couverture de L'Enfant de poussière. Un fond clair avec une sorte de fumée et des signes. Deux arbres noirs et bruns encadrent la couverture.

Le Cycle de Syffe, T.1, L'Enfant de poussière, de Patrick K. Dewdney, Au Diable Vauvert (2018)

Le premier tome d'une saga de fantasy récompensée par le Grand Prix de l'Imaginaire (eh oui). On y suit le parcours de Syffe, 8 ans, orphelin, issu des plus basses castes de sa société, qui se retrouve peu à peu pris dans l'engrenage des magouilles des grands de ce monde (enfin, d'un autre monde, du coup).

En interview, Patrick K. Dewdney dit (je paraphrase) qu'il a voulu apprendre le métier d'écrivain avant de se lancer dans quelque chose d'aussi ambitieux qu'un cycle de fantasy. Et ça se ressent : je pourrais écrire un article entier sur le nombre de détails que j'ai repérés, de passages qui m'ont parfois fait tiquer avant de réaliser que c'était non seulement logique mais extrêmement habile dans le contexte. J'ai réalisé au bout du quatrième chapitre environ que j'avais une image très claire de l'environnement, alors qu'il est plus évoqué que réellement décrit. L'univers visuel du livre, réalisé par Fanny Étienne-Artur, est aussi très bien pensé et contribue au récit. Par exemple, le fait d'avoir placé les cartes à chaque début de livre (et pas juste une grande en début de tome comme on le fait souvent) accompagne bien le sentiment d'un monde qui s'élargit au fur et à mesure des découvertes de Syffe.

Je n'avais pas lu de fantasy depuis un certain temps et je dois dire que ça m'avait pas mal manqué. Le premier tome suit assez fidèlement les codes du genre, dont j'avais perdu l'habitude, mais que j'ai retrouvés avec bonheur. C'était une sorte de madeleine de Proust : le plaisir de découvrir un nouveau monde avec sa propre histoire et son propre fonctionnement, de suivre un personnage dans son parcours initiatique, d'étudier les cartes pour mieux comprendre son cheminement, de dévorer un pavé en quelques jours. Et celui d'attendre pour lire la suite, parce que le 3e tome sort en septembre...

Couverture de Crocs. Une photo d'arbre et de barrière à contre-jour dans le soleil couchant. Le milieu de la photo est cassé, déstructuré.

Crocs, de Patrick K. Dewdney, La Manufacture de Livres, 2015

Je sais pas si tu commences à remarquer un thème, mais en ce qui me concerne, avril était clairement le mois "Patrick K. Dewdney." Après Mauvaise graisse, j'ai voulu lire ses autres livres, et j'ai emprunté le premier tome du Cycle de Syffe. Comme il fait genre, 600 pages, je me suis dit que j'allais mettre un certain temps à le lire, donc je n'ai pris que le premier tome. Il s'avère que, pour les raisons développées plus haut, je l'ai lu en deux jours. J'étais donc fort marrie, d'autant que la bibliothèque à côté de chez moi ne l'avait plus (il est emprunté H24 c'est à la fois merveilleux et une tragédie). Mais elle avait Crocs, donc j'ai lu Crocs.

Alors, ça n'a pas grand-chose à voir avec le Cycle de Syffe (enfin si, mais pas vraiment, mais ce serait trop long à expliquer). En tous cas, ce n'est pas de la fantasy, mais là encore c'était une belle expérience de lecture. On y suit un homme traqué, qui fuit à travers bois vers un objectif au départ inconnu de nous, accompagné par un clébard. En parallèle, il se souvient de ses années militantes et de son histoire d'amour avec sa femme, de leur rencontre à sa fuite.

Il se passe finalement très peu de choses, mais l'atmosphère, cette impression permanente de traque, le mystérieux clébard, cet objectif final qui est clair sans l'être (au début), les souvenirs aussi, tout contribue à faire en sorte que nous soyons tendu‧e‧s vers un but, vers la résolution de toute cette histoire. C'est parfois très poétique, dans les descriptions de l'environnement notamment, très tendre dans les souvenirs, la naissance d'un amour. Et parfois, c'est cru, violent parce qu'il met à nu à la fois la violence de la société et celle d'un homme. Crocs m'a plongée dans des abîmes de réflexion dont je ne suis pas encore vraiment sortie. C'est un roman qui ne peut pas laisser indifférent‧e.


Voilà, c'était un premier bilan lecture sur ce blog ! Je ne sais pas si je tiendrai ce format tous les mois, mais pour l'instant, je trouve l'exercice assez intéressant. N'hésite pas à partager ton avis si tu as lu un de ces livres !

Si tu veux les lire, rendez-vous dans en bibliothèque ou bien en librairie indépendante (tu peux même commander sur ce site). Et pour les livres un peu plus anciens, ça vaut toujours le détour de passer dans un Emmaüs !

Achaela

Achaela

Les dessins animés passaient trop tôt le matin, donc j'ai commencé à lire. Voilà le résultat.
Capitale Internationale de la Bande Dessinée et de l'Image (au moins)