Étonnants Voyageurs 2018 - Quelques lectures

Visuel : © A Storm in the Rocky Mountains Mt. Rosalie, 1866 (oil on canvas), Bierstadt, Albert (1830-1902) / Brooklyn Museum of Art, New York, USA / Bridgeman Images

Ce week-end, du 22 au 24 mai, c'est la 30e édition du festival Étonnants Voyageurs ! Habituellement, il réunit chaque année plus de 200 artistes (auteurs, autrices, cinéastes...) pour des rencontres à Saint-Malo, mais cette année, pour les raisons que tu connais, il sera entièrement en ligne, et gratuit. Le 30e anniversaire aurait dû être fêté en 2020, mais, covid, t'as capté.

Il s'avère que dans ma prime jeunesse, donc y'a quoi, deux ans, j'y ai fait mon stage de fin d'étude, et depuis, j'y retourne en tant que bénévole (cette année aussi, si tu restes connecté‧e peut-être que tu me verras changer les bouteilles d'eau sur une scène, on sait jamais). Pour marquer le coup, je me suis dit que j'allais faire un petit article, voire une série si j'ai l'énergie vitale pour, je sais pas. Quoi qu'il en soit, je prendrai sûrement le temps d'en reparler, parce que c'est une expérience qui m'a énormément marquée et apporté. Tu me diras si tu as des questions ou si ça t'intéresse que je te raconte l'envers d'un festival numérique, ou d'un festival tout court, ou les meilleurs spots pour boire des coups à Saint-Malo, ou je sais pas quoi d'autre en lien avec Etonnants Voyageurs.

En attendant, en bonne partisane du moindre effort, j'en profite pour reprendre à l'écrit les stories que j'avais faites sur certains des livres lus pendant mon stage. La plupart sont des livres d'auteurs et d'autrices programmé‧e‧s au festival cette année-là, mais pas le dernier : je l'avais acheté pendant une rencontre à la librairie La Nuit des Temps (qui reste un de mes lieux préférés à Rennes).

Contrairement à ce que j'ai pu faire sur Instagram à l'époque, j'ai uniquement retranscrit les stories sur les livres que j'ai aimés et que je recommande. Donc, si certains textes sont moins longs, rien à voir avec la qualité du livre : c'est juste que la story était un peu plus courte.


La Fin de Mame Baby, Gaël Octavia, Gallimard, 2017

La Fin de Mame Baby raconte les histoires mêlées de quatre femmes dans le Quartier, un lieu violent inspiré de ce que l'autrice a vécu en Martinique et à Paris. C'est un bon premier roman avec un propos intéressant sur la mémoire, la violence et les amitiés entre femmes.

Gaël Octavia est plus connue comme dramaturge, et cela se ressent dans son écriture, à la fois dans l'importance qu'elle donne aux dialogues, et dans la construction de l'histoire ponctuée de coups de théâtres.

Un vague sentiment de perte, Andrzej Stasiuk, Actes Sud, 2015 - traduit du polonais par Margot Carlier

Un recueil de nouvelles par le journaliste, éditeur et écrivain polonais Andrzej Stasiuk. C'est l'un des plus grands auteurs polonais de non-fiction, qui a écrit plusieurs livres de voyage.

Il y parle de proches décédé‧e‧s (sa grand-mère, des amis, sa chienne), à travers des anecdotes sur leurs vies. Le ton est juste, drôle, attendri. Une très belle lecture.

Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon, Actes Sud, 2017

Tout part de l'histoire de Patty Hearst, riche héritière d'une grande famille de la presse aux États-Unis. Celle-ci avait été enlevée dans les années 70 par un groupuscule marxiste terroriste. Cette affaire avait donné lieu à un grand procès - et à un scandale encore plus grand lorsque le public avait découvert que la jeune fille fragile dont il avait attendu la libération avait épousé la cause de ses kidnappeurs.

L'autrice, elle-même anarchiste et féministe, met cette histoire - et d'autres - en fiction pour questionner les notions de libre-arbitre et de transmission. C'est un roman très intelligent, qui reste dans la nuance, ne tranche pas, ne porte pas de jugement sur ses personnages. Au lieu de chercher à les définir à leur place, comme on a trop souvent tenté de le faire, Lola Lafon laisse aux femmes qu'elle écrit la possibilité d'être complexe.

Le Jour d'avant, de Sorj Chalandon, Grasset, 2017

Journaliste et ancien reporter de guerre pour Libération, Sorj Chalandon écrit aujourd'hui pour le Canard enchaîné. En tant que romancier, il a publié plusieurs romans, inspirés notamment de sa famille ou de son expérience de reporter.

Le 27 décembre 1974, à Liévin, un coup de grisou dans la mine fait 42 morts. Sorj Chalandon, jeune journaliste au moment des faits, a mis plusieurs années à trouver le ton juste pour parler de cette catastrophe, qui l'a beaucoup touché. Cela passera par la fiction.

Le Jour d'avant suit une famille endeuillée, prise dans ce drame collectif. Michel, 16 ans au moment des faits, a perdu son frère aîné, mort à l'hôpital quelques jours après la catastrophe. Il cherche à se venger de la mine et des Charbonnages de France, qui auraient pu éviter cette catastrophe si les mesures de sécurité avaient été respectées.

Difficile d'en dire davantage sans "divulgâcher", mais c'est un livre poignant et dont l'intrigue est beaucoup plus imprévisible et surprenante qu'on pourrait le croire. Il est à lire, jusqu'au dénouement.

Cantique de l'acacia, de Kossi Efoui, Ed. du Seuil, 2017

Un roman difficile à résumer, car la narration n'est pas linéaire. Elle est plutôt circulaire, elle croise des histoires, c'est une conversation, un chant - le style de Kossi Efoui est très poétique et musical. On suit une transmission d'histoires, de mythes entre trois femmes : Grace, la grand-mère, Io-Anna, la mère, et Joyce la petite fille ; elles partagent avec nous leurs destins et leurs échanges.

J'ai beaucoup aimé ce livre et son rythme très particulier, très oral et musical. Il faut rentrer dedans, je suppose que ça passe ou ça casse, mais de mon côté, j'ai adoré. J'aime aussi beaucoup l'auteur, qui est très intéressant à écouter en interview.

Né un mardi, Elnathan John, Métailié, 2018 - traduit de l'anglais (Nigeria) par Céline Schwaller

L'histoire de Dantala, un gamin des rues au Nigeria, qui se retrouve pourchassé par la police suite à des émeutes, avant d'être pris sous la protection d'un imam salafiste. Le propos de l'auteur était à la fois d'humaniser les gamins des rues en leur donnant un nom et une voix, et de parler d'extrémisme religieux de manière nuancée, en mettant en évidence les débats internes à ces mouvements.

Il y a notamment un débat entre l'imam qui a pris Dantala sous son aile, qui est plutôt pacifiste, et un autre imam, dans lequel on reconnaît un peu le fondateur de Boko Haram - même si le groupe n'est jamais nommé - qui, lui, est plutôt violent. Mais leur objectif reste le même.

L'auteur a également un propos très intéressant sur la langue, le fait d'être multilingue. On sent l'évolution de Dantala à mesure qu'il s'instruit et apprend de nouvelles langues. Cette évolution du personnage est très bien retranscrite.

Manuel d'exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons, de Velibor Čolić, Folio, 2017

Dans ce roman, Velibor Čolić raconte son parcours d'exilé entre 1992, date où il se réfugie en France après sa désertion de l'armée bosniaque, et 2000. Il y parle de ses galères, entre Rennes, Paris et Strasbourg, ses voyages, la misère dans laquelle il vit alors que sa carrière littéraire commence à se mettre en place.

Il parle de la misère, des doutes qu'il a sur son talent, de ses souvenirs de la guerre et de la douleur de l'exil, mais avec une sorte de distance, de pudeur et beaucoup d'autodérision, en se créant un personnage de looser un peu pathétique. C'est un roman touchant, mais aussi très drôle.

Un océan, deux mers, trois continents, de Wilfried N'Sondé, Actes Sud, 2018

Un roman nommé dans de nombreux prix, et qui raconte l'histoire vraie de Dom Antonio Manuel, né Nsaku Ne Vunda, un prêtre bakongo. Le roi des Bakongos lui demande de quitter le royaume, en voie de colonisation par le Portugal, pour devenir son ambassadeur auprès du Pape et plaider la cause des esclaves. Pour le roi, demander au Pape l'abolition de l'esclavage, c'est aussi un moyen de s'amender.

Ce qui a intéressé Wilfried N'Sondé dans cette histoire, c'est la position de Nsaku Ne Vunda, qui embarque sur un bateau négrier censé aller du Kongo jusqu'au Brésil avant de repartir vers Rome. En mer, il est dans une position prestigieuse : ambassadeur du Pape, il vit dans le quartier des officiers, mange avec le capitaine... Pendant qu'à la cale, il le sait, ses compatriotes souffrent et meurent.

L'auteur s'est mis dans la tête de son personnage avec beaucoup de talent. Au départ assez naïf, Nsaku Ne Vunda se retrouve confronté à des hiérarchies et à une violence qu'il n'a jamais connues, à l'horreur de l'esclavage. Il réalise qu'il a été joué, que la religion est utilisée à des fins politiques et immorales, que le Pape est certainement déjà au courant de l'existence de l'esclavage mais qu'il en tire profit. Il est particulièrement touchant d'être à la place de cet homme très croyant, confronté aux pires horreurs de son temps, qui doit réconcilier ce qu'il vit avec sa foi. Il y a aussi parfois de beaux moments plus tendres, une amitié qui se noue et qui interroge les liens entre lutte des classe et racisme. C'est un roman qui pousse à la fois à l'empathie et à la réflexion.

Illustration de couverture : Stéphanie Aparicio.

Toxoplasma, de Sabrina Calvo, La Volte, 2017

Un peu de littératures de l'imaginaire, avec ce roman que l'autrice qualifie de cyber-anarchiste. Dans la Commune de Montréal, on suit une enquêtrice en couple avec une hackeuse, qui fait des recherches sur des meurtres d'animaux en parallèle de son travail de vendeuse de VHS. L'histoire mêle liqueur aux pouvoirs surprenants, oracles dans un lavomatic, mythologie grecque et hacking en équipe dans une atmosphère de fin du monde et de résistance (dés)espérée au capitalisme.

Toxoplasma a été récompensé par le Grand Prix de l'Imaginaire en 2018, et c'était amplement mérité. A titre personnel, il fait partie des romans qui m'ont redonné goût aux littératures de l'Imaginaire, que j'avais très injustement délaissées depuis mon adolescence. Je vous conseille aussi d'écouter les interventions de l'autrice (par exemple celle-ci, ou encore celle-là). C'est littéralement l'une des personnes les plus intéressantes que j'aie eu la chance d'entendre en rencontres et en tables rondes.

Un Continent derrière Poutine ?, Anne Nivat, Ed. du Seuil, 2018

Anne Nivat, grande reporter qui a notamment couvert la guerre en Tchétchénie, est partie à la rencontre des Russes avant la réélection de Poutine, pour un livre et un documentaire diffusé par France 5.

La situation a probablement changé depuis lors, mais cela permet de comprendre, sans tomber dans la caricature, pourquoi les Russes continuent majoritairement à soutenir et à voter Poutine.

D'un trait de fusain, Cathy Ytak, Talents Hauts, 2018

Autrice et ancienne membre d'Act Up, Cathy Ytak a écrit ce roman pour parler aux adolescent‧e‧s d'aujourd'hui du VIH/Sida. A travers l'histoire de jeunes militant‧e‧s d'Act Up, elle retrace les premières années du mouvement et l'atmosphère du début de l'épidémie en France.

C'est un très beau roman, que j'aurais beaucoup aimé lire ado. Il est très réaliste, avec de beaux passages sur l'adolescence, sur l'amitié, l'amour, le fait de militer en tant qu'adolescent‧e. J'ai été touchée, entre autres, par une description magistrale de l'atmosphère d'un die-in.

Au moment où le livre a été écrit (et où je l'ai lu), Cathy Ytak n'avait pas encore vu 120 Battements par minute, mais dans la structure du livre, dans sa façon de parler d'Act Up, sa volonté d'être vraie par rapport au mouvement... La manière dont elle montre le rire, leur jeunesse, iels passaient en un instant du meilleur des fou-rires à la situation la plus tragique en un instant... C'est quelque chose qui m'a beaucoup fait penser à 120 BPM.


Tout ceci n'est bien sûr qu'un échantillon des livres que j'ai lu et aimé pendant mon stage, mais je n'ai pas forcément gardé de traces de tous... Si vous en avez lu certains, ou que vous les lisez un de ces jours, n'hésitez pas à venir m'en parler !